Ce texte est extrait de l’ouvrage ‘Recueil sur Lalbenque’, par Jean Cubaynes, TheBookEdition. La fête de Lalbenque décrite ci-dessous se déroule au début des années cinquante.
Chaque année, le deuxième dimanche du mois de mai est jour de fête. Les festivités commencent le samedi pour se terminer le lundi. Plusieurs mois avant les festivités, le comité des fêtes était constitué. Il était de coutume que les conscrits de l’année assurent l’organisation de ces trois jours. Des adultes volontaires expérimentés prêtaient main forte aux jeunes très honorés de cette première responsabilité publique. La municipalité chaperonnait cet événement avec son appui moral autant que financier. D’année en année le déroulement de la fête se faisait dans la tradition établie depuis fort longtemps, il suffisait de perpétuer en prenant exemple sur les années précédentes. A cette époque les innovations étaient mal vues par crainte d’échec, et puis il ne fallait pas choquer la population méfiante devant l’audace des jeunes. Monsieur le Maire recommandait de ne pas bouleverser l’ordre des choses sous la menace de retirer sa caution. Cependant, en général tout se passait pour le mieux.
La première réunion avait pour but de mettre en place le comité des fêtes et de rappeler les grandes lignes du déroulement des trois jours. Par la suite, les démarches consistaient à commander l’orchestre, prévoir les décorations, décider du feu d’artifice. La Mairie par l’intermédiaire de son secrétaire faisait les démarches nécessaires pour que tout fonctionne pour le mieux. Les attractions et manèges prenaient contact par courrier afin de réserver leur emplacement. L’illumination de la rue principale était confiée au libre arbitre de l’électricien auquel tous faisaient aveuglément confiance. Une multitude de détails étaient réglés par les membres du comité avant le grand jour.
Outre la subvention municipale, il fallait récolter les fonds nécessaires au financement des festivités. La recette la plus conséquente provenait des tournées aux domiciles des habitants du bourg et des alentours. Une liste était établie en fonction de l’appartenance de chacun, tous les habitants de la commune n’étaient pas sollicités. En effet, des hameaux avaient leur propre fête, en général le découpage était paroissial, la fête votive concernait donc les paroissiens. Les commerçants étaient également sollicités, comme la publicité n’était pas encore entrée dans les mœurs, leur participation se résumait en dons en espèce plusieurs fois durant les trois jours comme nous le verrons. Les bals étant gratuits, la journée du dimanche était consacrée à prélever un écot à chaque visiteur. Par équipe de deux, les jeunes se postaient aux entrées du village pour proposer une fleurette qui était épinglée sur les passants. Ce procédé était habituel, aussi tout le monde donnait ce que bon lui semblait selon ses moyens et sa générosité. L’argent était récolté dans des boites de conserves préalablement serties, une fente ayant été réalisée sur le couvercle. A la fin de la fête, le comité se réunissait, ouvrait les boites, et faisait le bilan. Les sommes réunies par ce procédé étaient assez importantes étant donné la foule considérable qui affluait en ce jour de fête.
Durant la semaine précédent le grand jour, le village était en pleine transformation et très agité. Les manèges arrivaient et investissaient la place de la Bascule. Les gens du « métier » étaient souvent les mêmes. La famille Bourgnou avec le petit manège pour enfant, les avions montés sur vérins, le tir, la loterie, et autres appareils à pièce étaient les plus fidèles.
Il faut également citer les voitures tamponneuses qui avaient un grand succès, et même nous avons vu une petite montagne russe avec tapis roulant et sa grande structure en bois qui ne désemplissait pas. Autour de ces installations majeures on trouvait de nombreux étalages qui proposait quantité de choses : barbe à papa, pétards, pistolets à amorces et d’innombrables petits objets pour les petits et les grands. Tous ces commerçants devaient évidemment participer aux frais par un droit de place selon l’importance de leur commerce.
La rue principale était décorée et illuminée. Une grande quantité d’ampoules de couleur montées sur des décors métalliques étaient installées du Barry haut jusqu’à la bascule, et au-dessus de l’endroit ou se situait le bal se trouvait l’inévitable chapeau chinois suspendu à de grandes perches de bois. Les guirlandes de papier étaient préparées au rez de chaussée de la mairie quelques jours auparavant. Sur des cordelettes tendues il fallait coller des triangles de papier coloré à espace régulier en prenant soin d’alterner correctement les couleurs. Ces guirlandes une fois confectionnées étaient tendues en travers de la grande rue. Le dernier aménagement consistait à installer et décorer l’estrade des musiciens. Pendant longtemps ces derniers furent perchés sur le toit de la bascule en forme de terrasse recouverte d’une bâche par crainte de mauvais temps. Peut-être l’accès difficile ou le manque de sécurité ont-ils fait préférer la traditionnelle remorque agricole décorée avec du buis, des fleurs en papier crépon et bâchée elle aussi. Le bruit des manèges se faisant gênant, pour ne pas perturber l’orchestre et les danseurs l’estrade fut placée devant l’ancien garage Courtès. Le décor était planté, le village paré, la fête pouvait commencer.
Enfin samedi, la dernière touche, on règle les derniers détails, mais il faut attendre 18 heures. Trois fortes déflagrations, ce sont les trois coups qui annoncent le début des hostilités. Les manèges démarrent à grand renfort de musique et donnent du haut-parleur pour attirer le badaud. A 21 heures, grand moment, c’est la retraite aux flambeaux. La foule s’agglutine sur le parvis de l’hôtel de ville, les enfants les yeux écarquillés tendent les mains pour recevoir les lampions suspendus à leur support. La demande est forte, aussi il faut faire vite pour allumer les bougies et souvent dans l’affolement les lampions s’enflamment, c’est la panique mais tout va bien. Enfin le cortège est prêt pour le départ. L’orchestre qui précède donne le ton et c’est le départ. Le parcours est jalonné par des feux de Bengale à la flamme rouge qui embrase les alentours. La musique, les feux, les lumières, c’est féerique, quel lalbenquois ne se souvient-il avec émotion de ce moment extrême de liesse ? Après avoir fait le tour du village, le cortège regagnait la Mairie pour y déposer le matériel rescapé qui attendra sagement l’année suivante. L’excitation passée, la foule se dirigeait vers la place de la Bascule. Les manèges tournaient à plein régime et les musiciens se déchaînaient, entraînant d’abord les premiers danseurs qui étaient vite suivis par le reste de l’assistance.
Dimanche était le grand jour, l’ensemble de la population se mettait en fête, bien coiffés, en habits du « dimanche » les gens déambulaient dans la rue en attendant la messe solennelle en musique à laquelle assistaient en grande pompe les autorités locales.
A la fin de l’office les élus se rassemblaient devant la Mairie pour y recevoir l’aubade. Après quelques morceaux joués par les musiciens, le comité des fêtes offrait de petits bouquets de fleurs au Maire et aux conseillers, ces derniers mettaient évidemment la main à la poche. A la suite de cette petite cérémonie avait lieu l’apéritif concert. Chaque café était honoré en partant du haut vers le bas, d’abord chez Fernande puis chez Odette et enfin pour terminer chez Eugène. Ce n’est que vers 12 heures 30 ou 13 heures que les habitants et leurs invités rentraient chez eux pour le grand repas de fête. Ce repas était sûrement le plus important de l’année, c’était l’occasion de réunir la famille et les amis et surtout de préparer le fameux masse pain. En effet, la veille de la fête dans tous les foyers il était d’usage de confectionner ces fameux gâteaux. On entendait le bruit des fouets qui montaient les blancs en neige et la valse des moules en fer blanc à la forme bizarre. Pour la plupart, les gâteaux étaient cuits par les boulangers, il y en avait de pleins fours. Une fois cuits, il fallait les ramener à la maison, mais comme ils étaient chauds on les enfilait sur un manche à balai pour ne pas se brûler. Il va sans dire que le repas copieux et bien arrosé s’éternisait quelque peu, les convives ne sortaient qu’en fin d’après midi. Ce n’est qu’aux alentours de 17 heures que l’orchestre se mettait en place pour sa prestation et que les manèges recommençaient leur ronde bruyante. L’après-midi se terminait mollement, un petit apéritif, un repas léger et c’était parti pour le grand soir.
Très vite la place de la Bascule grouillait de monde. En attendant que l’orchestre se fut mis en place, les gens s’agglutinaient autour des manèges en pleine action, c’était le meilleur moment pour les forains. Vers vingt deux heures, la musique du bal couvrait celle des manèges et les premiers danseurs virevoltaient sur la piste. En peu de temps, tout l’espace était occupé et la liesse était à son comble. Peu avant minuit un instant très attendu était annoncé à grand renfort de haut-parleur, le feu d’artifice allait être tiré ! A la suite de cette nouvelle la foule se dirigeait vers le lieu stratégique. Je me souviens l’avoir vu tirer à partir du pré de Rougé et plus tard du Pech Fourcat. Cet événement était toujours très apprécié mais hélas ne durait qu’une poignée de minutes. L’émerveillement passé, l’assistance se dispersait, les uns retournaient au bal et les autres rentraient chez eux. Ce n’est qu’aux alentours de deux heures du matin que la fête s’achevait en présence du dernier carré d’irréductibles.
Le lundi matin, le village reprenait doucement ses esprits. A dix heures, les gens commençaient à se rassembler en haut de la Place, devant le café du Commerce et de l’Industrie tenu par Fernande Barel. A cet endroit avait lieu la première épreuve des jeux. Il s’agissait de casser une cruche de terre remplie d’eau suspendue à une corde à environ trois mètres du sol entre les balcons du café et celui de la boucherie Flaujac (la poste actuelle). Le candidat était alors armé d’une longue perche de bois et les yeux bandés donnait de grands coups sous les acclamations des spectateurs. Les organisateurs qui tenaient les bouts de la corde s’affairaient à faire balancer la cruche pour ajouter de la difficulté. Après plusieurs essais et plusieurs candidats la cruche finissait par être cassée, le héros acclamé et mouillé recevait alors sa récompense, une toute petite somme d’argent.
Pendant ce temps l’orchestre installé sur la terrasse du café jouait pour attirer et retenir les clients, ces apéritifs concert se poursuivaient tour à tour devant les deux autres cafés. L’étape suivante se situait devant le café de France tenu par Armand et Odette Fournier. Le jeu préparé en cet endroit consistait à suspendre une poêle par une ficelle au-dessous du balcon de l’hôtel du Lion d’Or de telle façon que l’objet fut à la hauteur du visage d’un homme. Le revers de cette poêle était enduit d’une couche de cirage noir sous laquelle était dissimulée une pièce de monnaie. Le candidat devait à l’aide de son nez découvrir la pièce, il recevait également une récompense pour cet exploit, le plus difficile étant de nettoyer le visage. Le jeu suivant se déroulait devant le café Ausset sur la margelle du puits qui se situait à l’emplacement de l’actuelle fontaine. Ce jeu se déroulait en deux étapes. Tout d’abord, il fallait pêcher avec la bouche et les mains derrière le dos un citron qui flottait à la surface de l’eau d’une bassine. Le visage ruisselant, le pêcheur devait alors toujours à l’aide de sa bouche se saisir de pièces enfouies dans la farine contenue dans un couffin, le tout était fourni par le boulanger Maurice Cloup. Là aussi, le personnage ressortait de ces deux épreuves quelque peu sali à la grande joie de l’assistance ravie par les jeux et l’apéritif. Parfois de nouveaux jeux étaient ajoutés au programme, tels la course à l’œuf et la course en sac, une année il y a même eu un concours de vélos fleuris au grand ravissement des enfants qui en ce lundi festif étaient dispensés d’école. Il fut aussi un temps ou un mât de cocagne était installé sur la petite place du Barry-Haut. Ainsi se terminait la matinée du lundi durant laquelle la population avaient trouvé du plaisir. Les lalbenquois regagnaient alors leur domicile pour le dernier repas de fête. L’après midi se déroulait la traditionnelle course cycliste. Cet événement attirait évidemment une foule considérable et exigeait une sérieuse organisation. François Marmiesse en était la cheville ouvrière, l’épreuve se déroulait parfaitement. Le départ et l’arrivée étaient jugés au Mercadiol en face de la maison de monsieur Vinel. Ainsi le nord du village était honoré et le café de madame Birou quelque peu délaissé les jours précédents se remplissait en cette occasion. Monsieur le Maire et quelques autorités étaient juchés sur une estrade donnant le départ et assistant de ce lieu privilégié au déroulement de l’événement. Un « speaker » professionnel était recruté pour commenter les péripéties et autres événements. Micro en main, ce bavard personnage annonçait les primes offertes aux coureurs par les commerçants ou les particuliers. Le vainqueur recevait à la fin de la course une gerbe de fleurs et le baiser d’une lalbenquoise. Après la remise des récompenses la foule se dispersait de nouveau, un dernier apéritif, l’ultime repas, un petit tour à la place de la Bascule et tout se terminait.
Les courses cyclistes s’essoufflant, les lundis ont connu d’autres animations. En 1963 ce fut une corrida et ultérieurement des courses de chevaux.
Le lendemain matin en allant à l’école les enfants jetaient un œil triste sur les forains qui remballaient leur matériel, la fête était bien finie, le soir tout était rentré dans l’ordre comme si rien ne s’était passé.